Pénélope n'est plus du voyage
Annie Van de Wiele nous a quitté. Elle a largué les amarres en avril dernier pour rejoindre Louis, je l'ai appris aujourd'hui seulement en ouvrant le dernier numéro du Chasse-Marée.
Avec son mari Louis, un ami et un chien, ils ont accompli des navigations transocéaniques à une époque où ce n'était pas si facile. Outre ses qualités de marin, Annie était une écrivaine. Le livre où elle raconte ses navigations, "Pénélope était du voyage", est un régal à chaque page.
Après leur première navigation, en 1962, Louis laisse libre cours à son talent d'architecte naval et dessine "Hierro", le bateau en fer comme son nom l'indique avec lequel ils repartiront. Plusieurs Hierro ont été construit, un de mes amis et confrères, médecin à Bandol, en a un, presqu'à côté de mon bateau, qui s'appelle "Le doigt de Dieu". Il a baptisé son annexe "Le petit doigt de Dieu".
Annie a fréquenté les plus grands navigateurs de son temps : Moitessier, Le Toumelin, Loïc Fougeron qui passera le cap Horn sur un Hierro, "Captain Brown". Et surtout Marcel Bardiaux, le grand navigateur caractériel avec lequel j'ai personnellement correspondu peu avant sa mort et elle a réussi à le fréquenter pendant un quart de siècle sans se fâcher avec lui. Un exploit.
Dans les récits de navigation, il y a d'abord la grande triade : Slocum ("Seul autour du monde sur un voilier de 13m"), le premier circumnavigateur solitaire, Moitessier avec surtout "La longue route", récit initiatique au sens vrai du terme et je sais de quoi je parle, et les Damien, avec leur impensable navigation du Spitzberg à l'Antarctique en passant par l'Amazone. Je leur dois mon envie impérieuse de faire l'Amazone en 2011 au terme de ma croisière programmée au Brésil. Les indispensables de la bibliothèque du bord.
Puis viennent d'autres récits prenants de grande qualité, comme les livres de Bardiaux et d'Annie.
Annie a vécu la mer, elle fait partie des "Femmes Océanes" dont parle Nadine Lefébure dans son beau livre sur les femmes qui ont pris la mer ou plutôt, comme dit Renaud, que la mer a pris ; dans l'ordre : Rose de Freycinet, Jeanne Power, Sophia Pereyaskawzewa, Anna Weber Van Bosse, Annie Van de Wiele et Anita Conti. J'ai dit a Nadine, un jour où je la ramenais de Saint-Cyr sur mer à Toulon sur mon Tahiti ketch "Argante" dont elle était tombée amoureuse (du bateau, pas du capitaine), que je regrettais qu'elle ait oublié Naomi James.
Annie Van de Wiele a contribué à me faire rêver la mer. Elle navigue désormais dans l'éther aux côtés de Louis.