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2 décembre 2008

Jean Leonetti et l'euthanasie

Merci Jean pour la teneur du rapport sur l'euthanasie que tu viens de rendre et qui est tout à fait en phase avec ce que je disais ici-même il y a quelque mois : pas d'autorisation de l'euthanasie active, et surtout pas de nouvelle loi qui compliquerait les choses plus qu'elle ne les simplifierait.

Voici ce que j'écrivais ici-même en mars 2007 :

L'euthanasie en vedette avec le procès de deux soignants et le manifeste signé par 2000 autres qui disent avoir aidé un malade à mourir en abrégeant ses souffrances. Tout cela pour demander une dépénalisation de l'euthanasie.

J'aurais pu signer ce manifeste. Je ne l'ai pas fait et ne le ferai pas. Il m'est arrivé d'abréger l'agonie d'un patient par un traitement sédatif sans lequel la « survie »aurait été probablement plus longue. Je l'ai même fait pour un de mes amis. Il avait à peine 40 ans. Nous étions trois médecins, tous liés par des liens d'amitié avec le malade, et nous avons sciemment décidé, ensemble, de calmer ses douleurs par un traitement sédatif qui a probablement accéléré sa fin. Nous avons même décidé de ne pas faire participer la famille à la décision, pour ne pas la culpabiliser en l'impliquant dans la démarche. Nous avons tous fait cela.

Je garde en mémoire ce quinquagénaire breton hospitalisé dans mon service, il a plus d'un quart de siècle. Son cancer était généralisé, il était à peine conscient et respirait à grand peine tant le cancer avait envahi ses poumons. Il souffrait. Une jeune infirmière m'a suggéré de lui faire une injection de morphine pour le soulager. Je lui ai dit :
- D'accord, mais vous avez plus d'une chance sur deux de le tuer.
- Il ne faut pas le faire alors ?
- Si. Je crois que vous avez raison. Il faut le faire. En sachant qu'il va certainement en mourir.
Le patient est mort dans l'heure qui a suivi la morphine. L'important était que l'infirmière ait pris conscience avant de la portée de son geste, que j'ai prescrit bien sûr, ce n'était pas à elle de le décider.

Un autre souvenir pénible : un de mes collègues et amis (encore un !) mourait sur un lit d'hôpital d'un cancer généralisé. Mais je n'étais pas son médecin, j'étais juste un ami qui lui rendait visite. Il avait une pompe à morphine dont il réglait lui-même le débit selon sa douleur. Je voyais qu'il souffrait et lui demandais pourquoi il n'augmentait pas le débit de la pompe.
- Parce que ça me fait dormir. Le peu de temps qui me reste à vivre, je veux être conscient et lucide.
Il n'a jamais été question bien sûr d'abréger sa souffrance.

Sur un plan « législatif », je suis contre une « légalisation » de l'euthanasie active, choquante par essence, même avec le consentement éclairé du patient et des proches. La dérive vers le suicide légal assisté serait inévitable. C'est pour ça que je ne signerai pas ce genre de manifeste. On a vu, dans le même ordre d'idée, comment la loi Veil sur l'avortement, pourtant généreuse, faite pour faire face à des situations de détresse, a engendré une dérive inacceptable vers un mode de contraception de dernier recours. 

Je pense que les comportements d'accompagnement tels que je les décris plus haut, qui ne sont pourtant plus, il ne faut pas se voiler la face, de l'euthanasie passive dans la mesure où les morphiniques et les sédatifs utilisés raccourcissent la vie, méritent une indulgence de la part de nos juges. Mais je ne suis pas sûr qu'il faille bâtir un texte de loi pour ça.

Je vais être clair sur certains principes : le soignant qui tue un patient par une injection de chlorure de potassium intraveineux doit être poursuivi pour homicide volontaire, quel que soit le contexte. Cette attitude n'est pas acceptable. Ce n'est pas du jésuitisme que de distinguer cela des traitements morphiques ou sédatifs que j'ai cités. L'esprit est totalement différent. Ce ne sont pas des gestes de même nature. D'un côté on tue froidement, de l'autre on soulage en acceptant que cela tue, même si j'admets qu'il n'est pas facile, sur un plan sémantique, de définir une frontière précise au sein de toutes les attitudes intermédiaires entre les deux comportements.

Alors n'en définissons pas. Ne légiférons pas. Si notre justice garde un certain bon sens (vœu pieux...), une jurisprudence se dessinera d'elle-même, qui fera la part des choses entre les meurtres au potassium ou à l'insuline et la sédation aux conséquences mortelles.

Nous ne sommes pas loin de  ce que dit le rapport Leonetti. Voici un extrait de l'article du Monde à ce sujet :

La mission était chargée de faire le point sur la loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie, dont Jean Leonetti fut l'un des principaux architectes, qui autorise la seule euthanasie passive. "Mon but est d'améliorer l'application de la loi", a expliqué lundi à Reuters Jean Leonetti, qui a travaillé avec le socialiste Gaëtan Gorce, le centriste Olivier Jardé (Nouveau Centre) et le communiste Michel Vaxès.

Les élus formulent vingt propositions, qui écartent  l'exception d'euthanasie et l'assistance au suicide. "Aucune des deux n'est retenue dans la mesure où elles m'apparaissent comme créant plus de problèmes humains et juridiques qu'elles n'en résolvent", a déclaré Jean Leonetti. Les auditions et travaux de la mission "l'ont conduite à écarter toute loi qui tendrait à légaliser l'euthanasie".

Gaëtan Gorce a salué, lundi, dans un communiqué, des mesures améliorant le droit existant mais continue de plaider "pour une formule d'exception, seule issue, à [ses] yeux, à des situations dramatiques comme celles que l'on a connues avec Chantal Sébire".

"CONGÉ D'ACCOMPAGNEMENT DE FIN DE VIE RÉNUMÉRÉ"

La mission recommande "de renforcer les droits du malade, d'aider les médecins à mieux répondre aux enjeux éthiques du soin et d'adapter l'organisation de notre système de santé aux problèmes de la fin de vie". "Convaincue de la nécessité de développer la solidarité de tous envers les patients en fin de vie, la mission préconise de mieux faire connaître la loi", précise le rapport.

Les députés proposent la création d'un "congé d'accompagnement de fin de vie rénuméré" pour un proche du malade, ou bien encore la mise en place de médecins référents pour les soins palliatifs dans chaque département.

Ils préconisent la création d'un Observatoire des pratiques médicales de la fin de vie, "chargé de diffuser l'information sur la loi et d'en étudier l'application", et suggèrent que le monde judiciaire ait une meilleure connaissance des enjeux éthiques et juridiques liés à la fin de vie.

Mais aussi, Jean, je dois expliquer pourquoi je te tutoie et je t'appelle par ton prénom.

Once upon a time, comme ils disent outre-Manche, nous étions ensemble à Londres puis à Manchester, dans le cadre d'une invitation des laboratoires ICI à visiter leurs installations. Nous étions un groupe de huit médecins, à l'époque tu étais "seulement" adjoint au maire d'Antibes, et tu exerçais quasiment à plein temps ton métier de cardiologue. Avec l'ambition non dissimulée de devenir un jour maire d'Antibes, ce que tu es aujourd'hui.

Lors de notre transit à Heathrow, tu es monté sur un charriot à bagages et tu as improvisé dans le hall de l'aéroport un discours électoral qui a fait hurler de rire bien au delà de notre petit groupe. Ensuite, à Manchester, nous t'avons préparé une petite blague. Nous dînions dans l'arrière-salle d'un restaurant. Nous avions auparavant soudoyé discrètement un homme du cru, en te désignant à lui. Il est entré dans la salle où nous nous restaurions, nous a dévisagés lentement les uns après les autres, et, quand il t'a regardé, il s'est fendu d'un grand sourire en s'exclamant avec un accent extraordinaire :

"- Oh ! Mister Léonetti ! D'Antibes !!!!!"

Et tu t'es redressé, bombant le torse, fier comme un bar tabac que ta renommée soit arrivée à Manchester, pendant que nous retenions notre fou-rire.

Tu l'as bien pris, et tu as ri aussi de bon coeur avec nous.

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