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oldgaffer
10 août 2006

Templiers et Graal

Le vendredi 13 octobre 1307 il fut procédé à une arrestation massive et simultanée de presque tous les Templiers de France. Ceux qui les arrêtèrent ne rencontrèrent aucune résistance de la part des moines-soldats. On ne trouva pas leurs livres - brûlés pour la plupart -, on ne trouva aucun trésor. Les Templiers possédaient une flotte respectable qui avait aussi disparu, elle avait du prendre le large emportant le Commandeur de France et nombre de trésoriers qui passèrent entre les mailles du filet (le Grand-maître Jacques de Molay s'était laissé arrêter, il est à peu près certain qu'il aurait pu fuir mais qu'il ne l'a pas voulu, comme beaucoup d'autres dignitaires). Le reste n'est que suppositions. L'Ordre du Temple n'a pas été surpris par l'initiative de Philippe le Bel et Clément V, la fuite était préparée, les Templiers n'ont pas été anéantis.

Bernard de Clairvaux a joué un rôle décisif dans la genèse de l'Ordre du Temple et la rédaction de sa règle. Il est étrange de voir combien son action sur ce point est souvent minimisée aujourd'hui, voir niée. Même s'il n'en est pas le signataire, Bernard de Clairvaux est l'inspirateur de la règle écrite en 1128, dix ans après la fondation de l'Ordre. Il définit ce que doit être une chevalerie chrétienne, et exalte l'idéal des moines-soldats. C'est peut-être là une des tâches les plus importantes qu'il ait accomplies dans une vie pourtant riche, et c'est celle que mettent le moins en exergue les historiens. Cette action lui valut d'être choisi par Dante comme guide pour les derniers cercles du Paradis, où il prend la suite de Béatrice pour conduire l'auteur au sommet. Pour Bernard de Clairvaux, l'Ordre du Temple était la « milice de Dieu », avec comme vocation la garde de l'unité de la Chrétienté. Bernard de Clairvaux était un être exceptionnel. Bourguignon de haute naissance, il renonce à la carrière chevaleresque à laquelle il semblait destiné pour entrer dans un ordre contemplatif, celui de Cîteaux. Alors qu'il ne désirait rien de plus qu'observer une vie monastique retirée du monde et consacrée à la prière, il fut conduit tout au long de sa vie à intervenir dans des conflits entre les grands de ce monde : pape, antipape, empereur, roi de France... Il n'était investi d'aucune charge le mandatant pour toutes ces actions, mais son autorité spirituelle s'imposait à tous. Aujourd'hui on parlerait de charisme, mais c'est de bien plus de ça qu'il s'agit, ce qui est certainement malaisé à concevoir tant la notion d'autorité spirituelle est frappée d'étrangeté chez nos contemporains. Bernard de Clairvaux était autre chose qu'un brillant séducteur capable d'entraîner les foules et de convertir ceux qu'il rencontrait à sa cause. Il est un archétype du Gardien de la Terre Sainte, du moine-chevalier investi de l'autorité spirituelle à son plus haut niveau. Les Gardiens de la Terre Sainte, ainsi nommait-on les Templiers, ne sont pas seulement les soldats qui défendent le tombeau du Christ et maintiennent les routes de pèlerinage praticables.

La Terre Sainte est un concept symbolique dont Jérusalem et la Palestine ne sont qu'une expression contingente et particulière. Et quand on parle de Jérusalem, il s'agit de la Jérusalem céleste, celle dont la ville de Palestine n'est que l'image. Ce terme de « Terre sainte » se trouve pareillement dans des organisations initiatiques orientales géographiquement fort différentes de la Palestine. On se trouve en présence, quand il s'agit des Gardiens de la Terre Sainte, de structures initiatiques authentiques qui se rassemblent autour d'un centre spirituel, image du centre du monde correspondant à la tradition dont ils sont l'expression, comme Delphes en Grèce ou Lhassa au Tibet. L'universalité de ce type d'organisation est attestée par le symbole de la triple enceinte, que l'on trouve dans toutes les traditions et qui figure les trois degrés initiatiques répartis de façon concentrique autour du centre spirituel. Seuls des moines soldats peuvent franchir toutes les enceintes, capables de défendre l'enceinte extérieure en tant que soldats et qualifiés pour accéder au centre en tant que moines. Les « Assassins » dans l'Islam sont fondés sur une symbolique analogue. Quelles images de ce centre connaît-on? Souvent il s'agit d'un cœur, d'une coupe, et là nous sommes très près du Graal, de l'Unité que figure ce centre.

La quête du Graal est celle de ce centre protégé par l'Ordre du Temple. Dans Parzifal, l'Ordre du Graal décrit par Wolfram von Eschenbach est identifiable à celui du Temple : « De vaillants chevaliers ont leur demeure à Montsalvage où l'on garde le Graal. Ce sont les Templiers, il vont souvent chevaucher au loin en quête d'aventure… ». Les chevaliers de Montsalvage ont deux rôles, celui de protéger le château, certes, mais aussi celui de permettre « le règne effectif de Dieu » en nommant les rois. Ces chevaliers appartiennent donc plus au domaine de l'autorité spirituelle qu'à celui du pouvoir temporel ; ils sont le trait d'union entre les deux, ce qui explique que l'Ordre du Temple ait pu se développer deux siècles durant dans un consensus général malgré le divorce prononcé entre l'Empire et la Papauté. Le mandat du Temple était indiscutable sur le plan spirituel, ce que l'on savait voir en ce temps-là, il procédait d'une fonction ésotérique qui a duré tant que l'occident en a été digne. Empereurs, rois, clercs, et même papes, lui étaient spirituellement soumis. Les Templiers ont prolongé par leur Ordre ce que Bernard de Clairvaux avait été par sa personne. En 1307 le Pape Clément V, en s'associant à Philippe le Bel n'a pas condamné l'Ordre mais l'a simplement supprimé sans passer par voie conciliaire (ce sera fait en 1311 avec le concile de Vienne). Lors de leur procès, les Templiers furent accusés d'adorer une idole nommée « Baphomet ». Le Baphomet était réputé pouvoir sauver ceux qui l'adoraient, les rendre riches, faire fleurir les arbres, faire germer la terre. Ce sont exactement les attributs du Graal celtique. Avec le cycle arthurien et le Graal, coupe sacrée et archétype de la divinité chez les Celtes, coupe dans laquelle Joseph d'Arimathie recueillit le sang du Christ chez les chrétiens, il y a déjà un premier télescopage traditionnel : entre la Chrétienté et la Tradition celte. Notons que les plus vieilles représentations que l'on connaisse de la triple enceinte sont d'origine druidique.

Les chevaliers de la Table ronde ont un idéal templier que certains accompliront (Perceval et Galaad, le fils de Lancelot, notamment). Autre télescopage, le message délivré par Wolfram von Eschenbach dans « Parzifal » et auquel Pierre Ponsoye a consacré son remarquable « Islam et Graal » : Feirefis, le demi-frère musulman de Parzifal, entre de plain-pied à Montsalvage avec lui, après un combat dont nul ne réussit à sortir vainqueur. Eschenbach a voulu signifier ainsi non seulement bien entendu l'unité des religions mais aussi le rôle unitaire de l'Ordre du Temple à ce niveau. Ceux qui connaissent la cathédrale de Chartres ont peut-être remarqué un médaillon du vitrail de Roland qui représente un chevalier chrétien venant de la gauche et un chevalier musulman venant de la droite. La représentation ne montre pas de victoire du chrétien sur le païen, les deux hommes sont tous deux fièrement assis sur leur cheval, face à face, droits, les lances de chacun d'eux touchant le bord de l'écu de l'autre. La lance du musulman semble brisée, en fait les deux lances dessinent un triangle isocèle, la scène étant inscrite dans un cercle. Le bouclier du musulman est un cercle dans lequel un soleil noir rayonne par dix branches, l'écu du chrétien est vu de profil, il est allongé et porté pointe en bas. Les guerriers sont bien entendus respectivement blanc et noir comme Parzifal et Feirefis. Sans entrer en détail dans une explication symbolique sur ces deux écus - dont l'un est un soleil - de part et d'autre d'un triangle, sur l'opposition du blanc et du noir, sur l'inscription du tout dans un cercle, tous signes qui parleront à ceux qui ont déjà fait une approche ésotérique de ces symboles, il n'est pas abusif d'y voir une image de l'unité de la Chrétienté et de l'Islam dont les Templiers et les Assassins étaient les moteurs respectifs. Cette unité est pleinement accomplie dans le Graal. L'Ordre du Temple et le mythe du Graal, étroitement liés, les mythes celtes, chrétiens et islamiques interpénétrés, tout cela représente plus encore que l'unité des religions, c'est l'unité traditionnelle universelle tout entière qu'il faut y voir, illustrant admirablement le concept développé dans toute l’œuvre de René Guénon : la Tradition Primordiale.

Le Concile de Vienne, en 1311, a scellé le sort des Templiers. La plupart des prélats (tous les évêques d’Italie sauf un, tous ceux d’Allemagne, d’Espagne, de Danemark, d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande) demandèrent à ce que les accusés aient droit à être entendus. Clément V balaya leur demande d’une phrase : « Les impies ne se relèveront point dans le jugement ni les pêcheurs dans l’assemblée des justes. » Le sort de Jacques de Molay et des autres dignitaires était scellé : le bûcher. On se souvient mal d’une autre faute, spirituellement plus grave, commise à ce Concile. Citons cet extrait apparemment anodin du compte rendu du Concile : « Le Fils de Dieu existe de toute éternité avec le Père … il s’est revêtu de toute notre nature … à savoir le corps passible et l’âme raisonnable. » Le Concile de Vienne venait de confondre l’âme et l’esprit dans un même concept, supprimant le ternaire traditionnel par un binaire conflictuel d’où émergera le matérialisme moderne, cette dualité sera la base du cartésianisme.

Après le massacre, que sont devenus les nombreux Templiers qui s’étaient enfuis ? Selon Baigent et Leigh qui ont mené une des enquêtes les plus précises à ce sujet, on peut suivre plusieurs pistes, notamment celles des Chevaliers Teutoniques dans l'Empire germanique, de l'Ordre des Chevaliers du Christ au Portugal, et de l'Ordre de Montesa en Espagne, mais une des principales est celle qui mène en Écosse où de nombreuses tombes templières ont été découvertes sur la côte ouest, à Kilmory et Kilmartin, près de la côte ouest où ils débarquèrent, au sud d’Oban. On connaît aujourd'hui leur rôle dans la lutte des Stuart contre les Hanovre : la célèbre bataille de Bannockburn n’aurait jamais pu être gagnée sans eux. Ils sont aussi à l'origine de la garde écossaise des rois de France à laquelle appartenait Montmorency, qui tua Henri II d'un coup de lance dans l’œil ; les auteurs doutent fort qu'il se soit agi d'un accident. Les héritiers des Templiers ont été les maîtres d’œuvre des cathédrales britanniques, faisant ainsi le lien entre la voie opérative et la voie chevaleresque pour aboutir au XVIIIème siècle à la Franc-maçonnerie écossaise.

Au sud d’Edimbourg, on trouve la chapelle de Rosslyn. Rosslyn est un livre, c’est le livre de pierre des Templiers venus en Écosse en 1307. Ce livre est codé et le code est perdu, on ne sait pas où commence et où s’arrête la lecture qui embrase toutes les traditions : entre autres chrétienne, musulmane, hébraïque, païenne et maçonnique. Les sculptures montrent « le petit homme vert » des mythes celtes, divinité des forêts, Melkitsédek, des colonnes dites de l’apprenti ou du Maître et bien d’autres symboles de bien d’autres traditions. Certaines sculptures montrent à l’évidence des épis de maïs et des plantes cactées comme les aloès, inconnues en Europe jusqu’au retour de Christophe Colomb. Elles datent d’un siècle avant son voyage. Les Templiers, comme les Vikings, ont donc vraisemblablement traversé l’Atlantique et en sont revenus. Même s’il n’a pas l’harmonie, la beauté, la perspective fulgurante d’inspiration et de génie des édifices sacrés comme les cathédrales et les églises romanes du Moyen-âge, Rosslyn est le témoignage en grande partie indécryptable de la connaissance des Templiers, de leur universalité (de nos jours on dirait œcuménisme). Ce que l’on peut lire à Rosslyn est la partie émergée d’un immense iceberg.

Attention, lorsque l'on cherche les héritiers des Templiers les fausses pistes sont nombreuses. Les Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem et l'Ordre de Malte n'ont semble-t-il reçu qu'un héritage matériel, notamment avec des commanderies templières, faute de ce trésor que l'on cherche encore et qui a certainement financé entre autres les guerres en Écosse et au nord de l'Angleterre à partir du XIVème siècle. Aucun de ces deux ordres ne peut se prévaloir de l'héritage spirituel, initiatique, des Templiers. Beaucoup de sectes aujourd'hui se réclament de l'Ordre du Temple, affichent des filiations douteuses, je n'en connais pas une qui puisse se prévaloir de façon plausible d'un tel héritage, d'une telle filiation. Le vrai trésor des Templiers est d'ordre purement spirituel, ce n'est rien moins que le Graal. On aura beau faire les plus brillantes élucubrations à propos de Rennes le Château ou de Gisors, on aurait beau trouver des montagnes d'or le plus pur et de gemmes merveilleuses, on ne trouvera ni leur trésor ni leur secret qui n'appartiennent plus au monde des hommes. Revenons sur les chevaliers du Christ. Les Templiers disposaient d'une flotte importante, ils possédaient notamment des portulans (cartes marines de l'époque) qu'ils étaient seuls à connaître et ils ont certainement atteint l’Amérique bien avant Christophe Colomb. Il n'est alors pas surprenant d'apprendre que Vasco de Gama était chevalier du Christ, qu'Henri le Navigateur a été Grand-Maître de l'Ordre, et que Christophe Colomb était marié à la fille d'un ancien Grand-Maître. Les carnets de bord et les documents nautiques de son beau-père ont été pour beaucoup dans son succès. Chacun a vu les images des deux caravelles et de la caraque qui constituaient la flotte de Christophe Colomb, et se souvient de la croix pattée rouge sur fond blanc qui orne les voiles. Même si certains ordres sont réellement les héritiers spirituels du Temple - et ça n'est sans doute vrai aujourd'hui que pour la Franc-maçonnerie écossaise -, un véritable ordre templier ne peut plus exister, les conditions requises pour qu'une telle élite - ici le mot prend pleinement son sens - puisse se manifester ne sont plus en place. C'est en cela véritablement que le vendredi 13 octobre 1307 marque le début de la fin du Moyen-âge, le début de la chute vers la renaissance et les temps modernes, fin qui sera précipitée par les errements du Concile de Vienne en 1311 et consommée en 1492.

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Commentaires
N
Bien votre texte je mets votre liens chez moi <br /> <br /> <br /> http://nonnobisdominenonnobissednominituodagloriam.unblog.fr/
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D
Bonjour ami, j'ai bu ton texte comme un verre de vodka, voici définit la dualité et l'autorité spirituelle. J'avais grand besoin de la force qui se dégage de tout ceci. En conclusion : puisqu'ils ne nous restent plus que les symboles, qu'ils nous élèvent et nous permettent de faire fi du matériel ! J'attendrai le ciel, mon chemin est pavé. Je te souhaite un bon week end pour ce 15 Août. Bises, Dominique
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