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oldgaffer
9 septembre 2017

Mythe et Vérité

Le chapitre que j'aurais pu ajouter à "Contrecourants". je le ferai peut-être :

 

 

Mythe et vérité

Le mythe selon la définition classique est un récit fabuleux, souvent d’origine populaire et porté par une tradition orale, confrontant des héros humains aux divinités ou aux forces de la nature. Sont présents à notre esprit, dans notre civilisation méditerranéenne, ceux de la mythologie grecque, mais toutes les civilisations ont une mythologie analogue. Le sens de ce mot s’est ensuite affaibli pour désigner des personnages fictifs ou même réels : Don Juan, Don Quichotte, Napoléon ont pris rang de mythes, dans lesquels des nations reconnaissent des valeurs qui leur semblent fondamentales. Le sens du mot a dérivé encore plus pour appeler « mythe » une construction de l’esprit qui ne repose sur rien de réel, donc, par définition, le contraire de la vérité. Il n’y a rien de vrai dans les propos d’un mythomane.

Tous les philosophes depuis l’antiquité, tous les psychanalystes, se sont intéressés aux mythes, les premiers pour étudier le sens et la part de vérité que le mythe véhicule, les seconds comme vecteurs de leurs doctrines, essayant à toute force de trouver dans les éléments mythiques les illustrations de leurs dogmes. Depuis Platon les philosophes tiennent les mythes pour des allégories, une sorte de langage indirect, où d’authentiques vérités sont cachées sous le vêtement du mythe, rendu pour eux inutile dès que l’enveloppe est percée. Les temps modernes voient le refus rationaliste du mythe, la raison étant promue au rang supérieur de l’intelligence. Platon lui-même, au début de la République, dit qu’il faut choisir entre muthos et logos. Le passage du muqos au logos est considéré comme celui du discours mythique au discours conceptuel, souvent lié à un passage de l’oral à l’écrit, un passage de l’imaginaire issu de l’angoisse métaphysique de l’homme primitif à la raison de l’homme moderne.

Le logos est considéré par les philosophes depuis Platon comme l’expression supérieure de la raison, née de l’intelligence de l’homme, le logos  permet de dépouiller le mythe de son enveloppe archaïque et lourde, pour trouver l’essence de vérité débarrassée des fioritures inutiles. 

Faut-il se satisfaire de ces réponses ? Le logos n’est pas une construction humaine et rationnelle. Il est le principe créateur traduit par Verbe ou Parole, celui dont Jean dit au début de son Prologue : « En arkhé èn o logos ». Le passage ne se fait alors pas du muthos au logos, mais du logos au muthos, du principe à une expression de sa manifestation. Issu du principe, le mythe est une manifestation destinée à nous mettre sur le chemin de la Vérité dont il est issu, cette Vérité, c’est le logos. 

Jean Hani, professeur de littérature et de civilisation grecque à l’université d’Amiens, a écrit dans « Mythes rites et symboles » : « Les mythes, qui constituent la substance même des religions, se transmettent normalement, dans les sociétés régulières soit par tradition orale uniquement, soit par le moyen des Écritures sacrées qui permettent de les fixer… » Les religions sont basées sur des mythes, mais tous les mythes ne sont pas religieux :

  • L’aspect religieux de la mythologie grecque est très réduit.
  • La Franc-maçonnerie se nourrit de mythes : celui de la construction du Temple de Salomon depuis le 1er degré, le mythe d’Hiram à la maîtrise, et d’autres dans les degrés ultérieurs que les Maîtres Secrets découvriront dans leur progression.
  • Le Compagnonnage a aussi ses mythes, comme le meurtre de Maître Jacques par les hommes du Père Soubise dans la grotte de la Sainte Baume.

 Les sciences sacrées sont traditionnellement au nombre de cinq : l’astrologie, l’alchimie, la magie, la symbolique, à laquelle on rattache les différentes formes de Tarots, et la mythologie. Les trois premières sont étroitement liées à l’hermétisme, les deux autres sont plus générales et la mythologie est souvent considérée comme la plus difficile. L’astrologue, l’alchimiste, le magicien exercent un art certes difficile mais où ils sont actifs. Le symboliste qui consacre sa vie aux Tarots est lui aussi d’une certaine façon actif dans sa recherche par la manipulation des arcanes. Le mythologue doit seulement chercher, et ne pas souvent trouver la Vérité dont il est en quête.

Les formes de la mythologie sont nombreuses. La plus ancienne est certainement celle qui dans toutes les civilisations se rapporte à la cosmologie, c’est à dire aux mythes de la Création. La Genèse fait partie de ces mythologies cosmologiques et fondatrices. Sous des formes poétiques variées mais au symbolisme universel, ces mythes ne se laissent pas facilement décortiquer. Viennent ensuite les histoires des Dieux, des Héros, et des hommes dans leurs rapports avec les Dieux. Puis les mythes s’affaiblissent et se transforment, des histoires naissent sur les restes d’autres, teintées des particularismes locaux, et parfois le fil se perd entre la forme d’un récit traditionnel et son origine. On passe de la tradition au folklore qui en est le reflet lunaire, de la mythologie aux contes de fées. 

Il est d’usage dans le monde profane de considérer que les mythes ne sont que la réponse de l’angoisse de l’homme devant l’univers et devant la mort, les croyances religieuses sont mises souvent dans le même sac. Les mythes ne sont pas descendus du ciel vers l’homme sous formes de révélations lumineuses et bruyantes, même si nous pouvons penser que les concepts qui ont donné naissance aux mythes ont germé dans l’esprit de l’homme en contemplation devant l’univers, nous savons que dans cet esprit réside la part de divin que chacun porte en soi. Aller dans les mythes à la recherche de la Vérité, avec « l’œil du cœur » selon l’expression soufie si bien appropriée, c’est un peu chercher la part de divin qui est dans l’homme.

Pour cette approche de la Vérité dans les mythes, je citerai Saint Augustin : « L’important pour nous est de méditer la signification d’un fait et non d’en discuter l’authenticité ». Saint Augustin nous dit bien que la Vérité se cherche dans ce qui donne sens et pas dans l’exactitude évènementielle. C’est la première leçon du mythe.

Peu importe que Moïse ait réellement existé, peu importe qu’il ait réellement rapporté du sommet de la montagne sacrée des tables de pierre gravées par le feu divin, la Vérité est dans la Torah que ce mythe nous a donnée.

Personne ne croit qu’en réalité, matériellement et charnellement, Chronos, ait en fécondant Gé, la terre, enfanté Zeus le seul de ses enfants qu’il n’ait pas pu dévorer, la mère ayant soustrait l’enfant aux appétits du père, mais quelle Vérité dans ce Chronos, le temps, à la racine cosmologique de notre monde, dont il est la condition la plus exigeante, la plus étonnante !

Ah ! Si les Jésuites et leurs inquisiteurs avaient pu comprendre que la science moderne ne mettait pas à mal l’Eucharistie en démolissant la réalité physique de la transsubstantiation ! Pour les chrétiens, même s’il est exact que l’hostie et le vin dans le calice restent chimiquement et physiquement du pain et du vin après la Consécration, il n’en est pas moins VRAI que l’hostie et le vin sont devenus le corps et le sang du Christ. Le Christ est un personnage mythique, l’Eucharistie est un mythe. On m’aurait brûlé de dire cela il y a quelques siècles. Or ce propos, loin de s’attaquer au personnage et à son message comme on risque de le comprendre, signifie bien au contraire que le Christ et l’Eucharistie sont des expressions authentiques du logos, au delà de toute expression et opinion religieuse, comme le montrent les écrits soufis sur ces mythes.

 

Les Saintes Maries ont-elles réellement débarqué en Camargue ? Marie de Magdala a-t-elle réellement vécu dans la grotte de la Sainte Baume ? Ce n’est pas exclu historiquement, mais qu’on le démontre sur le plan de l’exactitude ou qu’on prouve le contraire, la vérité est dans le sens que le mythe des Saintes Maries et celui de Marie de Magdala ont donné à l’histoire de la Camargue et de la Provence.

Attention, chercher la Vérité dans les mythes n’est pas se débarrasser du vêtement encombrant du mythe pour ne garder que ce que la raison accepte. S’il y a symbole, c’est justement parce que le discours et la raison ne peuvent pas exprimer l’idée qu’il contient. L’Encyclopædia Universalis consacre un chapitre à l’interprétation philosophique des mythes. L’auteur ne s’est pas laissé trop piéger par la volonté réductrice des temps modernes. Voici un extrait de ce texte :

« Les grands philosophes ont tous eu à faire avec cette puissance de l’imagination… Quelle que soit la réponse qu’ils donnent à la question de savoir si la sorte d’imagination ontologique impliquée par le mythe est finalement inférieure à la vérité d’ordre conceptuel, leur réflexion commune pointe vers une fantastique transcendantale, dont le mythe serait seulement une émergence. L’enjeu n’est pas seulement le statut du mythe, mais celui de la vérité elle-même à laquelle on se propose de le mesurer ; la question est finalement de savoir si la vérité scientifique est toute la vérité, ou si quelque chose est dit par le mythe qui ne pourrait pas être dit autrement. »

Non, la vérité scientifique n’est pas toute la vérité ; oui, quelque chose est dit par le mythe qui ne pourrait pas être dit autrement. Par ailleurs j’aime beaucoup l’idée de « fantastique transcendantale dont le mythe serait seulement une émergence ». Le mythe, partie émergée, visible, de l’iceberg-Vérité qu’il représente ! Quelle belle image !

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