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oldgaffer
10 avril 2015

Le christianisme est-il une religion du Livre?

La bible est un ouvrage complexe, qui assemble des textes différents dont l'ensemble forme d'une manière très paradoxale le livre central du Christianisme. Pourquoi est-ce si paradoxal? La Bible commence par ce que les chrétiens appellent le Pentateuque (Genèse, Exode, Nombres, Lévitique et Deutéronome), c'est à dire ce que les juifs appellent la Torah. La Torah est écrite en Hébreu, et il n'est pas nécessaire d'être kabbaliste pour savoir que la richesse de ce texte s'évanouit dans sa plus grande part dès qu'on le traduit. Or l'Église chrétienne n'utilise pas le texte hébreu, et rejette donc implicitement tous les enseignements qu'on peut tirer de la « version originale ». Chaque mot de la Torah est un livre à lui seul tant qu'il n'est pas traduit, les mots et même les lettres sont des symboles. A la suite du Pentateuque, l'Église a conservé les textes qui composent l'ancien testament (livres poétiques, historiques, prophétiques, psaumes, plus certains livres deutérocanoniques, dits « apocryphes », éliminés des bibles protestantes). Elle y a adjoint le nouveau testament, c'est à dire les Évangiles, les Actes des Apôtres, les Épîtres et l'Apocalypse. La version historiquement la plus connue est la Vulgate de Saint Jérôme, en latin. Toutes les traductions de la Bible jusqu'au siècle dernier sont en fait des traductions de la Vulgate, qu'il s'agisse de la traduction de Luther (en allemand) ou de celle de Lemaître de Sacy (en français). Cette dernière version était celle qui servait de référence à tous les écrivains français, et il est intéressant de s'y reporter pour comprendre certains poèmes de Victor Hugo par exemple. Ce n'est que plus tard que sont apparues des traductions reprenant directement les textes originaux. Parmi les bibles françaises il faut signaler celle de Louis Segond, qui a pour défaut de ne pas comporter les textes apocryphes mais est tout à fait remarquable, et la T. O. B., plus satisfaisante à mes yeux que la Bible de Jérusalem qui « pêche » dans la traduction des noms divins. Quelle que soit la qualité du travail de traduction, on ne trouvera pas dans ces ouvrages ce qu'un hébraïsant rencontre à chaque mot du texte hébreu : une géode qui éclate de mille feux à chaque regard, inépuisable dans ses sens et dans ses lumières. Elle n'est plus qu'une pierre inerte à la moindre tentative de transcription.

 

On peut donc s'étonner que le Christianisme fasse fi des textes originaux qui existent et ne veuille se servir officiellement que de traductions alors que nous de venons de voir l'appauvrissement dramatique que cela représente. On ne peut pas s'imaginer que les Pères de l'Église aient agi ainsi par ignorance. En fait on peut l'expliquer assez simplement : il n'y a pas de livre sacré dans le message du Christ. Moïse a reçu la Loi sur le mont Sinaï, il est le prophète qui transmet cette loi dans un livre sacré, la Torah, écrit dans une langue sacrée, l'Hébreu. Mohammad a reçu la Révélation par l'archange Gabriel, et cette loi a été écrite par le Prophète dans un livre sacré, le Coran, écrit dans une langue sacrée, l'Arabe. Le latin pas plus que le grec ni aucune des langues européennes actuelles n'est une langue sacrée. Mais le Christ était non seulement le Prophète (comme l'indique la myrrhe que lui offre Balthazar) mais aussi le Roi (marqué par l'or que lui donne Melki-or, le Roi de l’Or), et le Prêtre (signifié par l'encens que lui porte Gaspard). Les Rois Mages symbolisent les traditions dont ils sont dépositaires et ils les réunissent toutes pour les offrir au Christ. Le Christ, par sa nature divine, est le Verbe incréé, la Parole divine, il est lui-même le Livre, et sa parole se répand non dans les pages d'un écrit sacré mais par le sacrifice de son sang et de sa chair, par l'Eucharistie. Le terme de religion du Livre s’applique alors mal au christianisme.

 

Qu’est-ce qu’une langue sacrée ? Il n’y a pas de critère linguistique qui permette de le définir. La distinction entre langue sacrée et langue profane relève de l’ésotérisme. C’est le symbolisme qui permet d’appréhender ce concept. Dans une langue sacrée, les mots, les lettres de chaque mot sont des symboles au sens que nous avons vu au chapitre sur l’unité des religions. Cela passe souvent par les correspondances entre la lettre et le nombre, base de la kabbale, par la forme de la lettre comme dans l’hébreu, l’arabe et le sanscrit certes, mais aussi dans les idéogrammes des langues orientales. Les langues modernes ont conservé certains vestiges de ses symboles, plus nettement quand elles sont écrites en caractère cyrillique (grec, russe, formes modernes des langues orientales et sémites …) que dans l’alphabet occidental, mais ils sont déracinés, comme la numérologie est une science déracinée dès qu’on sort de la kabbale et qu’on l’applique aux langues profanes, ce ne sont plus des réalités vivantes comme les symboles mais des vestiges fossilisés. Les langues profanes, dit Guénon, ont une dimension purement formelle, non analogique, non intuitive, et ne sont pas en mesure d’atteindre à l’universalité, alors que les langues sacrées peuvent être regardées comme un reflet de la Langue Originelle. Les langues sacrées sont vraiment en correspondance, en harmonie, avec le plan divin. Pour mieux comprendre ce concept, impossible à expliciter en pensée discursive comme tout ce qui est d’ordre ésotérique et symbolique, je conseille la lecture du livre fabuleux de Nicolas Boon : « Au cœur de l'Écriture ».

 

Les noms de Dieu sont multiples dans la Bible. Les exégètes modernes s'accordent à trouver deux sortes de rédacteurs pour les textes hébraïques : l'Elohiste et le Yahviste. L'Elohiste serait celui qui aurait assuré la transition entre une période polythéiste attestée par le pluriel « Elohim » et le monothéisme confirmé par l'apparition du « Yahvé » qui est la traduction officielle du Nom de Dieu dans la Bible de Jérusalem. Ces interprétations ne sont pas satisfaisantes. D'abord, en préalable, répétons qu'il ne faut pas dater des textes à partir de leur écriture, qui n'est souvent que la touche finale d'une longue tradition orale, l'intérêt que l'on peut porter à l'identification ou la classification des rédacteurs est bien mince. Ensuite, il ne faut pas voir dans « Elohim » la marque d'un polythéisme. Les trois premiers mots de la Genèse sont « Bereshit bara Elohim... », le sujet « Elohim » est un pluriel mais le verbe « bara » est accordé au singulier, montrant bien l'Unicité du Dieu, du Principe. Le pluriel marque l'universalité de ce Principe.

 

Yahvé ou Jehovah sont des inventions bien postérieures aux écrits bibliques, on les trouve dans les traductions chrétiennes, le choix de l'une ou l'autre des transcriptions dépend de « l'obédience » des traducteurs. Yahvé est le nom de Dieu dans la Bible de Jérusalem, Jéhovah se trouve plutôt dans les sectes et dans de nombreuses variantes anglo-saxonnes de la réforme protestante. Cette transcription n'est pas tout à fait innocente, elle permet entre autres d'escamoter la question de la Parole Perdue. Yahvé (il vaudrait mieux d’ailleurs écrire Yahveh) - ou Jehovah - traduisent le Tétragramme Iod-Hé-Vau-Hé (IHVH). Le Tétragramme est le nom sacré par lequel le Grand-Prêtre invoquait Dieu dans le Saint des Saints une fois l'an. Après la première destruction du Temple, la prononciation a été perdue, il ne reste plus que les consonnes que l'on peut vocaliser de nombreuses façons, « Yahvé » et « Jéhovah » sont deux possibilités arbitraires parmi d'autres. Les juifs disent « Adonai » et montrent ainsi que ce nom ne peut pas être prononcé. « Elohim » préside aux sept jours de la Genèse, et dès le repos sabbatique observé, le Tétragramme est accolé à « Elohim », ce que la Bible de Jérusalem traduit par « Yahvé-Dieu ». IHVH apparaît très tôt dans la Genèse et cette juxtaposition est lourde de sens. Voir la transition du polythéisme au monothéisme entre « Elohim » et « Yahveh » est vraiment un non-sens.

 

« Elohim », Dieu Unique et Créateur, est désigné par ce pluriel en tant que « forces de la nature ». En guématrie, « Elohim » et « A Teva » (la nature) ont le même chiffrage : 86, ce qui atteste du rapprochement que l'on peut faire à leur sujet. « Elohim » s'inscrit dans la rigueur, la sévérité, tandis que le Tétragramme est du côté de la miséricorde et de la grâce, d'où leur juxtaposition, leur équilibre, qui préside à la création de l'Homme. Dès le quatrième chapitre de la Genèse, le Tétragramme apparaît seul. Adam et Eve se sont unis et ont enfanté Caïn. Dans Exode (3, 13), le Tétragramme est affirmé comme le Dieu de l'Alliance et de la Loi donnée au peuple juif, non qu'il soit différent du Dieu des autres, mais désigné ainsi dans le cadre de ses rapports privilégiés avec le peuple de la Loi : Israël. Il n'y a jamais qu'un seul Dieu dans la Bible, désigné sous des noms différents selon le rapport par lequel on l'aborde.

 

C'est dans le même esprit qu'il ne faut pas étiqueter « polythéistes » des civilisations où les formes et les noms divins sont nombreux, comme on le fait trop souvent aujourd'hui, notamment pour la religion égyptienne et l’hindouisme. Ces représentations ne sont que des désignations particulières du Dieu unique selon les circonstances de l'invocation et les caractères particuliers qui s'y rattachent. Toute l'angélologie est à rattacher à ce concept. Quand les Francs-maçons placent leurs travaux sous l'invocation à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers, ils invoquent l'Unique, mais plus particulièrement désigné ainsi parce qu'ils sont de la lignée des bâtisseurs de cathédrales.

 

Il n’y a eu que trois civilisations polythéistes : la Grèce antique, Rome et l’Egypte de la décadence.

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M
Tu confirmes la très belle émission diffusée sur Arte récemment"Les secrets révélés de la Bible "
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oldgaffer
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