Servier : Mort d'un pourri

Jacques Servier est mort. J'aurais aimé qu'avant de mourir il réalise pleinement l'opprobre que son nom devrait susciter. Car il ne s'agit pas du tout de problèmes d'effets secondaires de médicaments plus mal tolérés que prévu mais d'une tromperie organisée avec un mépris des conséquences toxiques, c'est un véritable empoisonnement de masse que Servier a organisé et planifié, avec une corruption protectrice à tous les niveaux : gouvernement, direction du médicament, experts chargés de valider les études...

Il a décliné les amphétamines en niant leur nature : Isoméride d'abord, Médiator ensuite. Il a falsifié la plupart des études qui prouvent l'efficacité de ses produits : Progress pour le Coversyl et le Fludex, Europa pour le Coversyl, un vrai scandale cette dernière. J'aurais aimé que les membres du comité d'éthique qui ont validé les résultats et les modifications de protocole en cours de route "bénéficient" d'un contrôle fiscal. Ils étaient soit incompétents soit achetés, car les règles dites des Bonnes Pratiques Cliniques ont été allègrement foulées au pied. Vu la notoriété de ces experts, la seconde hypothèse est la plus plausible.

Nous avions l'habitude de dire "étude Servier étude truquée". Un de mes collègues a dit un jour publiquement, lors d'une communication dans un congrès en Europe du Nord, que l'étude Progress ne montrait en rien l'efficacité du Coversyl. Dès qu'il est descendu de chaire il a été entouré de vigiles musclés de Servier qui ont cherché à l'intimider.

On me dit parfois "tous les labos font la même chose". Ce n'est pas vrai. Même si l'on trouve de ci de là quelques affaires douteuses chez l'un ou l'autre, ce n'est jamais monté en stratégie organisée et systématique comme chez Servier.

Depuis la sortie du Médiator, je clame que c'est une amphétamine, une molécule dangereuse. J'ai réclamé en vain à de nombreuses reprises le dossier toxicologique - obligatoire - du produit, notamment la toxicité de groupe qui signe la nature amphétaminique. Je n'ai jamais eu de réponse, j'ai certes reçu des tonnes de papier, des centaines d'études, mais pas la bonne, jamais.

En plus, circonstances aggravante, chez Servier c'est l'ambiance catho outrancière, enquête de moralité etc...

Dans les années 80, Servier avait cherché à me recruter comme Directeur Scientifique pour l'Amérique du Sud. J'ai finalement refusé. J'aurais été prisonnier du système, j'aurais du me soumettre ou me démettre et à l'époque j'ignorais l'étendue de la pourriture de ce laboratoire. Je suis allé dans le centre de recherches d'un autre laboratoire, pendant trois ans, et j'ai beaucoup fréquenté par conséquent le milieu de l'industrie du médicament. Et c'est là que j'ai commencé à en apprendre de belles sur Servier. Un de mes collègues, ex de Servier, avait été viré pour s'être étonné que le rapport destiné à obtenir l'autorisation de mise sur le marche ait été expurgé des effets secondaires qu'il avait lui-même signalés. Tout collaborateur qui constatait des problèmes sur un produit soit fermait sa gueule soit était "remercié".

Je regrette que Servier soit mort sans passer par la case prison.

Je regrette que soient certainement verrouillées toutes les pistes pour mettre au jour le réseau de corruption de Servier, trop d'hommes politiques de tous bords, certains très haut placés, trop de hauts fonctionnaires, trop de grands patrons ont participé de cette pourriture.

Juste une info pour terminer : vous voyez souvent à la télé la pub pour les génériques Biogaran, je pense.

Biogaran c'est Servier.