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25 avril 2010

Mon oncle polygame

Cette histoire de polygamie qui envahit les étranges lucarnes me rappelle mon oncle Pierre. Le frère ainé de ma mère a eu une vie d'aventurier qui mérite d'être contée.

Le plus simple est d'abord que je reproduise le texte que j'ai lu à la cérémonie funèbre, ensuite que j'en vienne a sa polygamie officielle.

Pour Pierre, né le 3 décembre 1920 à Marseille, Sagittaire ascendant Verseau, mort le 22 août 2003 à Montpellier, inhumé le 25 août 2003 à Montpellier aux côtés de ses parents, rejoint peu après par son frère et par mes parents.

 

 

 

Pierre était mon oncle et mon parrain. Nous nous sommes vus trop peu souvent, et à force de dire plus tard on glisse vers jamais, parce qu’il est mort sans que je l’ai revu depuis les noces d’or de mes parents le 25 janvier 1997.

 

Il n’est pas nécessaire de voir un homme souvent pour que se crée un rapport exceptionnel. Il avait l’habitude d’arriver à l’improviste chez mes parents, souvent tard le soir. Le plus ancien souvenir que j’ai de lui date d’un demi-siècle. C’était à Caen, il était venu d’Amiens avec sa DS toute neuve, une des premières, dont il était très fier. Quelques années plus tard il est venu nous voir, tout aussi à l’improviste, à Perpignan. C’était peu de temps après la mort de son père. Son frère René était chez nous ce soir-là. Tous les deux, après un repas bien arrosé, sont partis dans un fou-rire incontrôlable dans l’escalier de l’immeuble où nous habitions, assis sur les marches en se tapant sur le dos au grand dam des voisins qui ne supportaient pas ce vacarme.

 

J’ai toujours eu beaucoup d’admiration, de respect, de vénération pour mon parrain. Enfant, j’étais captivé quand il me parlait de son amitié pour le champion motocycliste de l’époque, Georges Monneret qui lui a appris à conduire vite et dont il fut le coéquipier pour quelques courses d’endurance automobile sur Porsche. Adulte, j’ai été impressionné par son attitude lors de son premier vol réel au commandes d’un DC10. C’était à Lyon, et venait de se produire la catastrophe d’Ermenonville, un DC10 avec plus de trois cents passagers… à cause d’une porte de soute qui fermait mal… alors on rappelle au sol tous les DC10 et on interdit à Pierre de décoller. Il est en début de piste, il fait semblant de ne pas entendre, il décolle.

 

Quand il pilotait des Comets, les avions qui explosaient en vol à cause d’un hublot de cockpit défaillant, il lui est arrivé deux fois de laisser sa place à un collègue qui voulait changer de vol pour convenances personnelles, et qui est mort dans l’avion que Pierre devait piloter.

 

Il disait deux choses à ce sujet : « J’ai la baraka » et « Je ne veux pas faire de vieux os, je veux mourir en pleine possession de mes moyens ». Il avait appris ce degré de la sagesse qui consiste à la fois à ne pas redouter la mort et à ne pas la désirer. A la mort de son père, je me souviens qu’il a entraîné toute la famille après l’enterrement – sauf ma mère qui s’en était indignée – à un repas dans le meilleur restaurant de Montpellier à l’époque, chez les frères Runel. Je sais maintenant qu’il avait raison, que l’agape – mot qui signifie étymologiquement « amour » - est là pour exorciser la mort.

 

A chacune de nos rencontres je m’émerveillais de ses récits, de sa tentation de l’Orient, de son fatalisme qui montrait que son tempérament était réellement oriental. Il était habité d’une certaine forme d’élévation spirituelle, indépendante de toute religion parce qu’elle appartenait à toutes, sa tentation de l’Islam maintes fois exprimée en témoigne.

 

Lorsqu’on parle d’un disparu, il est de bon ton de lui trouver des traits de caractère exceptionnels. Chez Pierre, il n’est pas besoin de chercher. Ils étaient bien présents et visibles.

 

Mon grand-père, officier de Marine chef de quartier à Sète, reçut le 21 juin 1940 en raison de l’avance des Allemands l’ordre d’évacuer le soir même ses services à Oran. Il prend pour toute sa famille, ma grand-mère, ma mère, mon oncle René, des cabines sur le paquebot Formigny. Pour Pierre, afin qu’il ne soit pas pris par les Allemands vu son âge, il trouve un embarquement de matelot sur le même bateau. L’ordre d’évacuation est annulé, toute la famille débarque, sauf Pierre, qui est engagé et doit rester à bord. Le Formigny bloqué à Oran, Pierre ne peut pas revenir avec le même bateau. Dans des circonstances dont nul n’a plus le détail, il se trouve à Mers El-Kébir du côté des anglais et revient à Sète par un autre paquebot, peu après, en juillet 1940.

 

Il obtient son diplôme d’ingénieur agricole et choisit d’exercer en Algérie. Il arrive à Alger en Août 1942. Il y est encore lorsque les Alliés bombardent ce port en novembre de la même année, puis il est mobilisé dans les équipages de la Flotte. Ses parents resteront alors sans nouvelles de lui pendant près de deux ans. Sa mère reçoit au début de 1945 la visite d’un Lieutenant de Marine qui l’informe que Pierre est sorti major de l’École Navale de Casablanca. Il s’engage ensuite dans la Royal Air Force et reçoit la Croix de Guerre avec la citation suivante : « A fait preuve de courage et d’endurance en effectuant dans des conditions souvent périlleuses 401 heures de vols en opérations …. A accompli ces services de 1943 à 1945 ».

 

Après la guerre, il démissionne de la Marine pour entrer dans l’aviation civile. Il pilote des Comets sur la ligne Paris – Dakar – Abidjan. Puis il rencontre Geneviève, il l’épouse, et Françoise vient au monde. Pierre abandonne l’aviation pour se consacrer aux filatures que sa femme gère en Picardie. Mais les textiles classiques sombrent devant le débarquement des synthétiques. Pierre reprend du service dans l’aviation. Chez Air-France, puis chez UTA où il finira sa carrière, sur Caravelle, DC8, DC10. Il passe plusieurs années à Nouméa, escale centrale de l’étape Singapour – Tahiti au cœur de la ligne Paris – Los Angeles. Progressivement sollicité par ses amis qui lui demandent des produits français, il monte une véritable affaire d’import-export apportant à Singapour où il établit sa résidence principale du champagne et des escargots de Bourgogne, ramenant des textiles et autres produits exotiques. Il y a encore peu, il établissait une base à Kuala Lumpur et mettait en œuvre un commerce vers l’Australie.

 

Je me souviens qu’à sa mise à la retraite, à 65 ans, il a occupé son été à convoyer un voilier de Saint-Raphaël en Grèce puis à parcourir la jungle birmane à vélo.

 

 

 

Mon parrain a été rappelé à Dieu. Il a eu une mort digne de sa vie, nette et noble. Il reste l’image d’un homme peu commun, un aventurier des temps modernes, dont j’évoquerai souvent la mémoire à mes enfants et à mes petits-enfants.

 

 

A Singapour, Pierre avait épousé une jeune femme, Sharifa, selon le rite musulman. Il a longtemps partagé  son temps entre son château dans la Somme (celui de son épouse française en fait) et Singapour, restant un peu plus de la moitié de l'année en Asie de façon a avoir le statut de résident à l'étranger très avantageux sur le plan fiscal. A la fin de sa vie, il n'allait plus à Amiens et venait à Montpellier où habitait et habite toujours sa fille.

A son enterrement, seule Sharifa était présente, venue spécialement de Singapour. Geneviève déjà très malade n'avait pas fait le déplacement depuis la Somme.

A noter qu'il n'a jamais été question de le déchoir de la nationalité française pour polygamie ! Il faut dire qu'il n'a jamais rien touché comme allocs avec une fille unique, ma cousine Françoise.

Ma mère et ses deux frères dans les années 30 :

Maman_et_ses_fr_res

Les mêmes le 25 janvier 1997, Pierre est à gauche :

Maman50

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