Carnet de campagne
Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager cet article de Philip Stephens.
François
Bayrou ou l'indécision française
(Paru dans le Financial time)
Avec humour, l'auteur raconte comment François Bayrou pourrait devenir président... si les Français ont peur du changement. Même si la seule solution qui vaille, selon lui, s'appelle Nicolas Sarkozy. Il faut savoir reconnaître ses torts.
Il y a quelques semaines, j'ai eu l'occasion d'interroger
l'un des trois grands candidats à l'élection présidentielle française et je
l'ai manquée. En tout honnêteté, c'est même pire : je n'étais presque pas
là !
C'était à l'occasion d'un assez grand dîner, à Versailles. L'orateur du soir se
tenait sur une petite estrade. A la moitié de son discours, je me suis réveillé
en sursaut. Il me semblait que je ne m'étais assoupi que quelques secondes,
mais en rouvrant les yeux je sentis le rouge me monter au visage. Je jetai un
œil autour de moi, confus. L'assistance était parfaitement calme. Je n'étais
pas le seul à piquer du nez.
Je rejetai la cause de mon impolitesse sur le dîner et le vin – tous les
deux excellents, naturellement – ainsi que sur la fatigue d'un pénible
Londres-Paris. Mais, pour dire toute la vérité, l'orateur de ce soir-là
– en dépit de toutes ses qualités – n'était pas précisément un grand
tribun. J'étais également assez imperméable à l'exposé d'un projet politique
promettant une continuité de la politique fiscale, le fédéralisme européen et
une réforme radicale des institutions de la Vème République.
Et, à cet instant-là, rares étaient ceux dans la salle qui imaginaient que
l'hétérodoxe François Bayrou, leader de la petite UDF, était sur le point de
créer la surprise dans la campagne présidentielle.
Il n'est pas exclu – même si les sondages indiquent que c'est peu
probable – que François Bayrou devienne au mois de mai le nouveau
locataire de l'Elysée. Le candidat du centre arrive en troisième position,
derrière Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Mais l'écart est à ce point ténu
entre les trois candidats qu'il n'est pas entièrement impossible que Bayrou
passe le premier tour et soit finalement élu.
Cela étant dit, la percée de Bayrou reflète parfaitement l'ambivalence torturée
des Français. Les deux principaux candidats appellent à un changement, Sarkozy
d'une façon plus convaincante que Ségolène Royal. C'est ce que les électeurs
disent vouloir. Un récent sondage montrait que plus de la moitié des Français
pensent que leur pays est en déclin. Mais la France a également peur du changement. Le point
fort de Bayrou est de n'être ni Sarkozy ni Royal.
En début de semaine, un ami français, fin observateur de la vie politique
française, se disait indécis, comme près de 40 % de l'électorat français.
Il pourrait voter pour Bayrou. Pourquoi ? Il était clair que Ségolène
Royal n'avait pas les compétences, et il paraissait évident que Sarkozy était
le mieux qualifié. Mais il y avait quelque chose d'irritant – son
populisme ? son franc-parler affiché ? – chez le candidat
hyperactif. Dès lors, mon ami craignait autant de voir Sarkozy gagner que de le
voir perdre. La remarque de lord Salisbury, Premier ministre de la reine
Victoria, me revint à l'esprit : Changer ? Pour quoi faire ? Les
choses vont assez mal comme ça...
Pourtant, cette ambivalence s'explique. Une majorité de Français ont maintenu
un certain confort économique et culturel dans cette période de déclin relatif.
Même un libéral anglo-saxon reconnaîtra que les facteurs d'inertie de la France
– l'intransigeance dans le domaine public, la splendeur de la ruralité, la
prospérité du petit commerce – font aussi son attrait.
Néanmoins, le reste du monde a déjà plus ou moins son opinion. A ma connaissance,
aucun responsable politique de part et d'autre de l'Atlantique ne s'est
prononcé en faveur de Royal ou de Bayrou. Il est généralement admis que Sarkozy
serait un bon choix pour la France et surtout pour le reste du monde.
Certains observateurs ont en tête la vision, exagérée selon mes amis français,
d'un Sarkozy acquis à l'économie de marché libérale. C'est peut-être vrai. Mais
l'idée est surtout qu'un président français de droite pourrait relancer la
réforme des économies européennes. Et, si l'Europe a besoin de quelque chose,
c'est bien de renouer avec une croissance soutenue.
Finalement, et je pense que c'est le plus important, Sarkozy apparaît comme
l'homme du renouveau des relations transatlantiques. J'ai entendu certains
diplomates européens dire qu'un rapprochement entre Paris et Washington
rendrait les choses plus faciles. Angela Merkel serait plus à l'aise dans le
couple franco-allemand, les relations avec le Royaume-Uni seraient moins
tendues et la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN en seraient
facilitées.
Tout cela paraît bien ambitieux. Le libéralisme de Sarkozy a ses limites et,
s'il est incontestablement plus proche de Washington que Jacques Chirac, il
n'en est pas non plus à tomber dans les bras de Bush. Quant à la Constitution
européenne, a-t-on pensé à interroger à ce propos l'eurosceptique Gordon Brown,
futur Premier ministre britannique ?
Une chose est sûre, pourtant : les enjeux de cette élection dépassent les
frontières de la France. Ségolène Royal, avec sa culture de droite et sa politique économique de
gauche, est un mystère. La promesse de Sarkozy de réveiller la France
est un coup de dés. Et Bayrou ? Je crains qu'il ne nous endorme tous.