Humeur fumeuse
Un de mes amis dit : "une zône fumeur dans un restaurant c'est comme une section pisseur dans une piscine". Il n'a pas tort. Sauf qu'un peu d'urine dans la piscine ne fait pas trop de mal à la santé des autres nageurs. Et pourtant, je me déplace la pipe au bec presque tout le temps, y compris dans mon service à l'hôpital, sauf quand je fais la visite ou si je suis en consultation. Dans mon service, on sait si je suis là ou pas à l'odeur, ce qui ne veut pas dire que je ne me lave pas tous les jours. Il paraît que l'Alsbo Black (mon tabac à pipe) est d'un parfum agréable.
Fumer tue. c'est vrai. C'est même écrit en gros et gras sur tous les paquets de clopes. Je ne suis pas sûr que l'étiquette change quelque chose au comportement du fumeur. Il y a fumeur et fumeur. Prenons les risques encourus par un fumeur, ils sont de plusieurs ordres (liste non exhaustive) :
Cardiaque et vasculaire : angine de poitrine et infarctus, artérite, accident vasculaire cérébral.
Cancer : Bronches et poumons, mais aussi gorge, langue, oesophage et vessie. Peu de gens savent que le cancer de la vessie est un cancer du fumeur. Pour les cancers de la gorge et surtout pour ceux de l'oesophage, l'association à l'alcool est souvent retrouvée.
Respiratoire : bronchite chronique avec à terme incapacité ventilatoire rendant souvent l'oxygène à domicile nécessaire. J'ai vu des patients alterner consciencieusement et laborieusement le masque à oxygène et la bouffée de leur clope. Il a du y avoir quelques incendies, un peu de maladresse dans la manoeuvre et on imagine la suite.
Des nuances sont à apporter selon ce que l'on fume. La Société Française de Cardiologie a publié une échelle simple d'évaluation du risque cardiovasculaire. Plusieurs questions où selon la réponse on coche une case entre zéro et six puis on additionne les items. Interviennent l'âge, le sexe, l'activité physique, les habitudes alimentaires, etc... Pour le tabac, c'est simple : non fumeur : risque 0/6, cigare ou pipe 1/6, moins de 5 cigarettes par jour 2/6, etc..., 6/6 c'est pour plus d'un paquet par jour. Sachant que le fait d'inhaler ou de ne pas inhaler la fumée modifie le risque de plus du simple au double. Je me sens donc moins exposé avec ma pipe, mais je ne dois pas être satisfait pour autant, car côté langue ou gorge, je risque autant !
Le risque important concerne quand même surtout les fumeurs de cigarettes qui inhalent. Et si on regarde certaines données, on peut se poser des questions, dont la réponse est : "la société n'a pas les moyens de se passer des fumeurs". Et encore, je ne fais pas intervenir les recettes fiscales dans la discussion !
Un homme vit en moyenne près de 74 ans. Mais entre un fumeur de cigarettes et un non-fumeur, la différence d'espérance de vie est de 14 ans. Un fumeur de cigarettes vit en moyenne 67 ans, un non-fumeur 81 ans. Il n'y a pas de fumeur dans les maisons de retraite, et pas seulement parce que c'est interdit. Un accro de la clope nous quitte vers la fin de sa vie active, ou peu après. Il a cotisé toute sa vie pour les non-fumeurs et s'en va gentiment avant de profiter de sa pension. Les fumeurs financent les retraites des non-fumeurs.
Quand on nous dit que le tabac coûte cher à la société en terme de santé, c'est une connerie. Ce qui coûte cher, c'est la fin de la vie et la mort, avec les soins que cela implique, souvent à l'hôpital. Le non-fumeur coûte aussi cher avec son hémiplégie à 81 ans que le fumeur avec son infarctus à 67 ans. La différence c'est que ce dernier meurt dans la cinquantaine ou la soixantaine d'une maladie liée au tabac et que le premier meurt octogénaire d'une maladie non liée au tabac, mais au même coût. Pour la société c'est le même tarif que la mort soit dûe au tabac ou non. Le non-fumeur a cessé de cotiser, d'être productif et a été à la charge de la société pendant les 14 ans d'écart. Fumer devient un acte civique.
Si on raisonne en terme de coût de la santé, encourageons le tabac ! Si je tiens ce propos provocateur, c'est que je vois comment on raisonne aujourd'hui dans les "hautes sphères" beaucoup plus en terme de coût qu'en terme de santé publique. Et si les virus réunionnais et volaillers préoccupent, c'est encore le côté économique (ou électoral) qui est au premier plan. Les recommandations actuelles pour limiter l'usage des statines (médicaments de dernière génération contre l'excès de cholestérol) l'illustrent bien. On s'alarme de leur consommation qui grimpe en flèche et qu'il faut financer, et on se fout du fait qu'en limitant leurs prescriptions on limite aussi leurs effets bénéfiques dont la liste s'allonge de jour en jour : moins de maladies cardiovasculaires certes, mais aussi deux fois moins de cancers, moins d'infections chez les diabétiques... Qu'on limite la prescription des statines, OK, mais alors stimulons le tabagisme, ça revient au même. Qu'on aille au bout du raisonnement !
La grande contradiction est qu'on a pas les moyens de dire à la fois : on donne à chacun l'accès aux soins dont il a besoin et on maîtrise les coûts.
Mais le plus important n'est pas là : si je ne peux plus allumer ma pipe au restaurant après le dessert, alors où va-t'on !