Mort d'un chirurgien
Pierre est mort hier. Ce chirurgien était jusqu'à sa retraite un de mes collègues, il exerçait dans le même hôpital que moi. Ce n'est pas seulement Pierre qui disparaît, c'est toute une conception de la chirurgie. Il a fait son service militaire en Algérie, pendant la guerre, et il opérait les blessés sous une tente au contact des zones de combat, avec les moyens que l'on imagine. MASH n'a rien inventé. Quand un motard accidenté arrivait aux urgences de notre hôpital, Pierre pouvait dans le même temps opératoire évacuer son hématome intra-crânien, enlever sa rate explosée et mettre un clou dans son fémur, et il aurait pu le faire sans état d'âme à la lumière d'une lampe à acétylène au fond d'une grotte avec une Black et Decker trempée dans l'alcool. Certes chacun de ces gestes n'était pas accompli avec la même perfection que si le spécialiste de l'opération en question l'avait réalisé, certes les cicatrices n'étaient pas celles qu'aurait laissé un chirurgien plasticien, mais Pierre sauvait des vies. Aujourd'hui, le même motard doit passer entre les mains de trois équipes chirurgicales spécialisées, l'une après l'autre, avec une réanimation plus longue et plus lourde pour tenir le temps des trois interventions. Les dinosaures comme Pierre n'ont plus leur place dans la médecine d'aujourd'hui, et c'est bien dommage. |